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Mort de Thierry Ardisson : l'homme en noir s'est éteint
Mort de Thierry Ardisson : l'homme en noir s'est éteint

Le Parisien

time14-07-2025

  • Entertainment
  • Le Parisien

Mort de Thierry Ardisson : l'homme en noir s'est éteint

On a tous notre Ardisson , pas souvent le même. L'apôtre de « Double jeu », titre d'une de ses émissions, pas la plus célèbre ni la plus durable, mais qui disait parfaitement son côté Docteur Jekyll & Mister Hyde, chaleureux ou cassant à l'écran, orateur et ricaneur , abritait plusieurs personnalités, ou mille facettes d'une figure complexe. L'homme en noir avait ses zones d'ombre. Disparu à 76 ans, terrassé par l'un de ces crabes dont personne ne revient, et qui a su, peut-être contre toute attente, bien vieillir à l'écran, se bonifier, se réinventer, des années 1980 aux années 2010. Salut le Terrien ! « Pomme Q », comme il disait à la fin de chaque « Rive droite rive gauche », quitter l'application comme un ciao, comme on éteint l'ordi. Écran noir pour l'homme en noir. Il n'avait plus de batterie. Avec lui, on a bien ri. Tout le monde en parle, mais nous n'aimions pas tous le même homme en noir, sa signature visuelle. Pour certains c'était « Rive droite rive gauche », l'émission culturelle quotidienne de son grand retour et surtout sa conversion -relative, provisoire, mais impressionnante- à la bienveillance et à un certain classicisme cultivé, zen, à la fin des années 1990, sur Paris Première, pionnière du câble, avec ses piles de fiches sur l'actualité culturelle. Pour d'autres, il restera à jamais le taulier de « Tout le monde en parle », sur France 2 de 1998 à 2006, tous les samedis soir, son bâton de maréchal. Il y fit même sa campagne de Russie en interviewant en 2001 Mikhaïl Gorbatchev, le dernier dirigeant de l'Union soviétique . C'était fou ces samedis soirs où un ex-roi du monde devait répondre à une « Ardiview » sur la manière dont il souhaiterait mourir, où l'ancien Premier ministre Michel Rocard n'éludait pas la question « Sucer c'est tromper ? ». Mais s'il jouait ce jeu dangereux de la confusion des genres, du politique, du people et du graveleux, de l'« infotainment » dont Ardisson a été l'un des inventeurs, c'est parce que l'animateur le laissait aussi débattre sur mai 1968 ou les deux gauches. « Tout le monde en parle » avait ses habitués, comme Fabrice Luchini, et ses happenings à mourir de rire , ses jingles, « Magnéto Serge », cette façon de nous faire passer du samedi au dimanche autour de minuit dans une effusion de fiesta même si vous étiez tout seul sur votre canapé. Pour d'autres encore, le vrai Ardisson ne sera jamais dépassé par celui des débuts, de « Lunettes noires pour nuits blanches », ovni qui atterrit sur Antenne 2 en 1988, dans une ambiance de boîte de nuit branchée, mais hyperaccessible, cash, comme si on vivait par procuration l'ambiance Bains douches, lui qui anima aussi « Bains de minuit » sur la Cinq. Derrière ou sans ses lunettes noires, l'animateur se fait marionnettiste qui tire les ficelles sans même apparaître parfois, comme ses « blind test » où il demande à un Serge Gainsbourg pour une fois attendri de passer la toute jeune Béatrice Dalle au questionnaire de Proust. C'était ça les interviews d'Ardisson : créer, avec l'amusement d'un jeu de la vérité, un climat où tout peut se dire. « Autos-interviews », « blind tests » et « Questions cons », il connaît la musique. Il connaît tout le monde. Il tutoie, casse les codes, casse la baraque. La connivence, il la joue à fond, mais férocement et parfois aux dépens de l'invité : Yannick Noah s'y laissera avoir. Le champion de tennis répond aux questions musclées de « Descentes de police », un des premiers concepts à succès d'Ardisson dans le magazine Rock & Folk en 1980, et plus tard sa première émission, adaptée brièvement sur TF 1 en 1985 avant de quitter l'antenne en raison de sa brutalité. Le futur vainqueur de Roland-Garros balance que « des joueurs chargés, il en voit dans tous les tournois ». Il donne même des noms. Scandale. Le joueur dément, l'intervieweur décolle. Il s'est fait un nom. On l'aimait ou pas, ou les deux, mais il allait très loin, sur la deuxième chaîne du service public, sous le masque de l'humour, du cynisme et de la franchise. Ce n'est pas toujours drôle à revoir aujourd'hui, demander sur le ton de la déconnade à Gainsbourg quel nazi il serait, et s'il a un vice, pédéraste ou zoophile… Mais quelle somptueuse idée de mise en scène que l'auto interview de Gainsbourg par Gainsbarre. Il le refera avec d'autres, dans « Double jeu », son émission sur France 2 de 1991 à 1993. C'était un chercheur, du genre qui aurait tué père et mère pour un bon mot. Thierry Ardisson, « monarchiste cool », disait-il, auteur de « Louis XX, contre-enquête sur la monarchie », qui lui avait valu une interview chez Bernard Pivot en 1986, aurait pu vivre au XVIIIe siècle. Il aurait tenu le plus pétillant et grinçant des salons, comme dans « Ridicule », le film de Patrice Leconte. On s'y serait adoubés ou écharpés, à coups de traits d'esprit. Toutes ses interviews viennent de cet esprit brillant de l'Ancien Régime, le royaliste en aurait souri, sa manière d'inventer des concepts pour dynamiter les convenances. Ses entretiens « à la limite » -du nom d'un de ses très nombreux questionnaires- comme face à Léa Salamé, alors jeune journaliste. Il l'adoube dans « Salut les Terriens ! » parce qu'elle a une répartie qui lui impose le respect et un sourire de connaisseur. Il était pop. On éprouve toujours un frisson en écoutant ses génériques, ses gimmicks, ses jingles, ses œillades gourmandes qui annoncent l'entrée dans l'arène. Il se passe toujours quelque chose chez Ardisson. Comme le double vainqueur du Tour de France Laurent Fignon lui avouant sur le plateau de « Salut les Terriens ! » qu'ils sont tous les deux des repentis, dopés ou drogués. Pop au point de pomper son icône Andy Warhol , dont il reprend le titre mythique de magazine, Interview, qu'il lance en France. On n'emprunte pas sans accord, et le trublion doit transformer le nom en Entrevue. Un magazine people trash avant l'heure -Ardisson le revendra-. Ce dernier, souvent visionnaire, a déjà tout compris au buzz -bad buzz aussi-, aux réseaux sociaux, au people. Il crée même dans « Double jeu » la rubrique « Info ou Intox », sur un mode potache, bien avant l'ère des « fake news » , de la post-vérité. PODCAST. Ardisson, clap de fin sur 30 ans de PAF C'est parce qu'il a tout compris que l'outsider devient central. Un « Maverick », anticonformiste absolu, « Top gun » dans sa manière de viser la cible. Pilote d'élite qui ne travaillait pas tellement pour le grand public. Pas l'homme du prime time, mais de l'after, des nuits de « Paris Dernière », autre émission culte qu'il créa sur Paris Première en écumant les lieux de la nuit, des plus petits aux plus grands, avec des séquences qui sentaient tellement le vécu. Ardisson a introduit l'underground dans le poste de Monsieur tout le monde. Nos nuits blanches à domicile. Dans son autobiographie « Confessions d'un baby-boomeur », en 2005, où l'intervieweur est interviewé par le journaliste Philippe Kieffer, il raconte sa première expérience de DJ à 17 ans, où il vit aussi une aventure homosexuelle. Il faut tout essayer, sea, sex & drugs, beaucoup de drogues surtout. Et une tentative de suicide quand il découvre que sa première femme le trompe. Il vivra trois mariages, dont le dernier, depuis plus de dix ans, avec la journaliste de TF 1 Audrey Crespo-Mara . Sa seconde épouse, Béatrice Ardisson, qui avait comme lui un talent sonore de la bande-son dont elle avait fait un métier, lui a donné trois enfants. Quel roman que la vie d'Ardisson, né d'un père ingénieur dans le BTP et d'une mère au foyer. L'homme en noir avait ses zones d'ombre. Un homme de valeurs mais aussi un plagiaire, dont le roman « Pondichéry » sera retiré de la vente après une enquête journalistique qui révéla toute une série de copier-coller, et non de « sampling » comme le prétendait l'auteur. DJ peut-être, romancier on ne peut pas passer les extraits des autres. Mais à la télé, son vrai royaume -la preuve, il échouera dans son dernier grand projet, devenir producteur de cinéma-, il ne copie personne. Et personne ne le copie car il est inimitable, indépassable dans son genre à vrai dire unique. Des dynamiteurs de télé, il en existe extrêmement peu. Ceux qui ont fait basculer le poste de son meuble, ont renversé la table pour inventer de nouvelles lois. Il avait aussi importé celles de son premier métier, publicitaire . D'abord chez les autres puis au sein de sa propre agence, Business, dans les années 1980, le jeune concepteur-rédacteur Thierry Ardisson vend ses slogans : « Vas-y Waza », « Lapeyre y en a pas deux », « Quand c'est trop c'est Tropico ». On s'en souvient encore. L'éphémère dure parfois. Le léger, c'est du lourd. La touche Ardisson. Il connaissait déjà les codes qui sont devenus les nôtres : il ne suffit pas de faire, il faut un savoir-faire, il ne suffit pas d'être ni même de paraître, il faut se vendre dans ce grand marché du XXIe siècle où tout le monde a son selfie, son blaze, son réseau, sa signature. Ardisson ne croyait pas à la spontanéité même s'il semblait la libérer à l'écran. Il a scénarisé sa vie, ses émissions, à la ligne près. Beaucoup de pointures françaises ont rêvé d'un Late Show à l'américaine, avec un animateur star et provoc, adoré et craint, rebelle et tout-puissant. Seul lui l'a réalisé un temps, sur France 2 et Canal +, et enfin C8, où « Salut les Terriens ! » creuse le sillon de « Tout le monde en parle » jusqu'à la fin des années 2010. En avril 2024, l'ancien animateur de « 93 Faubourg Saint-Honoré », ses dîners cathodiques à la chandelle, décidément ce côté « Ridicule » XVIIIe, reçoit la Légion d'honneur des mains d'Emmanuel Macron, qui loue « un personnage d'une liberté totale, provocateur et érudit ». L'écrivaine Christine Angot, dont l'animateur a plusieurs fois moqué les récits sur l'inceste dans « Tout le monde en parle », exprime son dégoût pour la récompense attribuée à l'apôtre de « l'humour-humiliation sur le service public pendant des années ». Judith Godrèche et Sara Forestier, à la pointe de #MeToo, dénoncent elles aussi cette reconnaissance qui leur rappelle de mauvais souvenirs. Il était joueur, enfantin dans sa férocité. Il inventait comme un gosse qui fait le cow-boy avec ses lunettes noires et ses airs de dur, pour qui l'interview est un duel au pistolet à eau, mais les mots à bout portant ne sont pas toujours des balles à blanc. N'empêche, comme c'est triste un écran sans Ardisson. Il est rare de se révéler aussi important en étant aussi clivant. Écran noir. S'il existe un paradis, ou même un enfer, il est déjà en train de préparer ses fiches et son concept « première interview post-mortem ».

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